Le Technopôle Angus, une inspiration pour l’est de Montréal

21 septembre 2022

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En prévision du 25ème anniversaire du Technopôle Angus en 2023, Benoît Lévesque, professeur émérite à l’UQAM et grand collaborateur de Société de développement Angus, nous a fait le privilège de rédiger cet article, paru dans le Devoir en septembre dernier.


Le Technopôle Angus, une inspiration pour l’est de Montréal

Benoît Lévesque, Professeur émérite à l’UQAM, l’auteur est membre émérite du CRISES (Centre de recherche sur les innovations sociales). 17 septembre 2022


Utopie audacieuse devenue grandiose, le Technopôle Angus fête ses 25 ans. Cela mérite d’être souligné. La Société de développement Angus (SDA) a en effet dessiné un projet aujourd’hui reconnu comme le plus remarquable au Québec dans le domaine du développement urbain durable.

En 1992, le projet d’un parc industriel pour compenser la perte d’environ 900 emplois résultant de la fermeture de l’usine Angus est apparu pertinent, mais irréalisable. La CDEC Rosemont – La Petite-Patrie et le responsable du projet, Christian Yaccarini, n’avaient ni les fonds ni les compétences nécessaires. L’entente conclue en 1998 prévoyait un paiement réparti sur dix ans à partir des parcelles utilisées.

Le vendeur était convaincu que les terrains lui reviendraient pour défaut de paiement. Il ignorait que Christian Yaccarini, devenu le PDG de la SDA, réussirait à internaliser les compétences et à mobiliser les ressources nécessaires avec l’aide de Louis Roquet, président du conseil d’administration, et de ses membres, puis d’une équipe de professionnels engagés.

En 2022, les réalisations de ce Technopôle sont impressionnantes, comme en témoigne la reconversion d’un pavillon de l’usine (Locoshop Angus) et la construction de 13 bâtiments, la présence de 70 entreprises et organisations et la création de 3000 emplois. La dernière phase du développement des terrains Angus est celle d’un écoquartier hybride qui comprend 400 logements (appartements en copropriété à coût abordable, logements étudiants et logements sociaux) et des espaces de bureau, des services et des commerces locaux.

Parmi les dernières innovations, une boucle énergétique commune à l’ensemble des bâtiments qui réduit l’émission des GES de 26 % et l’utilisation des eaux de pluie pour une réduction de 40 % de la consommation d’eau potable. De plus, 25 — de la superficie de l’écoquartier est consacrée à la végétation et aux aires publiques.

Le Technopôle Angus est doublement multisectoriel. D’une part, les objectifs de revitalisation et de création d’emplois ont permis la mobilisation des ressources des trois secteurs : public, privé et économie sociale. Cette dernière est bien représentée avec, entre autres, Insertech, le Carrefour d’économie sociale et, plus récemment, la Caisse d’économie solidaire Desjardins et Dynamo. Les trois entités du Groupe Angus relèvent de l’économie sociale : la SDA est chargée des opérations ; la Société du Patrimoine Angus s’occupe des orientations et la Fiducie foncière Angus, de la préservation.

D’autre part, les activités sont aussi diversifiées : nouvelle économie, services aux entreprises, services financiers, services aux personnes (par exemple, santé et bien-être et services de garde), commerces et alimentation. Enfin, la future zone d’innovation en santé, présentement en attente d’une approbation par Québec, prévoit deux sites, l’hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR) et le Technopôle Angus pour des entreprises de technologie médicale et de santé numérique.

Une première génération de transfert

Le Technopôle a été une niche par définition protégée et difficilement transférable. Pour les promoteurs privés des années 1990, ces terrains étaient à éviter parce que contaminés et sous la surveillance des organisations de la société civile. Le Technopôle Angus s’est également imposé comme « laboratoire grandeur nature de développement urbain durable et d’innovation sociale ». En témoignent des éléments tangibles (par exemple la boucle énergétique) et intangibles (démarche de revitalisation), autant d’innovations transférables.

Une première génération de transfert des innovations à l’extérieur du Technopôle a donné lieu à deux types de projets. Le premier type est constitué de projets d’envergure pour requalifier une aire urbaine négligée. Il peut être illustré par deux réalisations : la construction du 2 – 22 Sainte-Catherine, inauguré en 2012, pour sept organismes culturels et le Carré Saint-Laurent, un édifice de huit étages au coût de 115 millions de dollars inauguré en 2019 après dix années de rebondissements. Le deuxième type de projets résulte de demandes d’accompagnement d’organismes d’économie sociale. Deux exemples plus modestes, mais structurants : la refonte majeure de l’édifice du théâtre La Licorne, terminée en 2011, et la relocalisation en 2016 de La Maison d’Haïti dans le quartier Saint-Michel.

Une deuxième génération de transfert

La deuxième génération, plus audacieuse encore, vise la transférabilité du Technopôle comme matrice d’innovation pour des sites dévitalisés de l’est de Montréal. Cet élargissement a été annoncé publiquement en septembre 2018 lors d’une assemblée publique soulignant le 20e anniversaire du Technopôle.

Dans un contexte politique favorable à l’est de Montréal, la SDA a provoqué au printemps 2019 l’émergence de l’Alliance pour l’est de Montréal, qui réunit les principaux acteurs socio-économiques du territoire, de la Chambre de commerce de l’est de Montréal aux Tables de quartiers, en passant par les institutions publiques en éducation et en santé. Cette initiative a permis aux acteurs d’horizons différents de se donner une vision partagée du développement urbain intégré qui s’inscrit dans la transition sociale et écologique.

Avec l’Alliance, le Technopôle cesse d’être une niche pour devenir un prototype qui peut être utilisé pour requalifier une friche, revitaliser le « centre-ville » d’un quartier ou créer une zone d’innovation ancrée dans le territoire. La pertinence et le rayonnement de la SDA s’en trouvent renforcés même si des ajouts à son écosystème sont devenus nécessaires, telle la Fiducie financière Angus, pour pérenniser les réalisations existantes et à venir.

À la suite de ce tournant, la SDA a soutenu la production de deux inventaires des entreprises innovantes dans l’est de Montréal, l’un pour les innovations technologiques, l’autre pour les innovations sociales. Ces résultats encourageants ont été partagés avec les membres de l’Alliance, laquelle a elle-même soutenu une recherche plus approfondie des initiatives sociales structurantes en émergence sur le territoire. Pour ses propres activités, la SDA a déterminé des sites où une démarche de revitalisation serait souhaitable et désirée, comme le Vieux-Pointe-aux-Trembles, Montréal-Nord et le quartier Saint-Michel, entre autres.

Certains éléments structurants pour la matrice d’innovation s’imposent dès le départ, comme le lancement public de la démarche de coproduction du projet avec les citoyens et les parties prenantes et l’achat de terrains pour en faire des espaces communs. Chacun des sites a sa spécificité en matière de personnalité et de trajectoire, mais tous partagent des défis communs à un territoire trop longtemps abandonné (par exemple, la mobilité), d’où un polycentrisme relationnel qui reposerait sur la concertation entre les diverses matrices d’innovation créées.

À terme, le transfert de seconde génération entraînera un dépassement du Technopôle Angus puisque le résultat envisagé est celui d’une transformation de l’est de Montréal. Pour ce territoire, il s’agit moins de rattraper l’ouest de la métropole que d’esquisser la ville de demain. En ce sens, de nombreuses friches et des quartiers dévitalisés incitent fortement à construire quelque chose de différent de ce qui existe déjà, mais orienté vers l’avenir, solidement ancré dans la transition écologique et sociale.